Retour sur une journée consacrée à la Chine
Jeudi 16 mars 2023, le CERCRID (UMR 5137) organisait une journée consacrée à la Chine, avec une matinée de discussion autour de deux ouvrages récents et une après-midi de séminaire doctoral autour des thèmes du comparatisme et de l'interdisciplinarité.
Nobert ROULAND, professeur émérite d'anthropologie juridique de l'université d'Aix-en-Provence, est venu présenter Ciels au-delà du ciel. La Chine et les Chinois : croiser nos regards, paru aux éditions Pacifica en 2022.
Bien qu'il reconnaisse ne pas être sinologue, l'auteur a cependant rassemblé une grande quantité de matériaux destinés à dépasser quelque peu les préjugés et les discours convenus sur la Chine contemporaine. Donnant notamment la part belle aux chinois eux-mêmes, notamment à travers les romans ainsi que plusieurs enquêtes menées au contact de la population chinoise, il revient sur les principaux thèmes de l'anthropologie de la Chine. Il revient ainsi sur le "crédit social", les droits de l'homme, la démocratie, transformations de la campagne, de la famille, de la condition des femmes, des migrants internes et des minorités - il y en a 56 distinctes des 90% de Han.
Comme la discussion a pu en témoigner, si l'objectif était de ne pas ajouter un énième livre à charge, il ne s'agissait pas non plus d'une justification du régime de Beijing. Il s'agissait simplement d'enrichir notre regard sur la Chine de quelques éléments qu'un honnête homme, même non spécialiste et ne parlant pas la langue, peut rassembler avec le souci d'objectivité et de rigueur universitaires sur des questions difficiles. Croiser nos regards et en réfléchir ainsi autant sur "eux" que sur nous-mêmes.
François GIPOULOUX, directeur de recherche émérite au CNRS, sinologue ayant appris le chinois dès ses études et ses premiers voyages à la fin des années 1970, est quant à lui venu aborder la question de la "Grande Divergence" avec son ouvrage Commerce, argent, pouvoir. L'impossible avènement d'un capitalisme en Chine, XVIe-XIXe siècle, paru aux éditions du CNRS en 2022.
C'est un débat vivace dans l'histoire économique, en lien direct avec les études Anthropocène tant cette question renvoie aux chemins empruntés par l'humanité pour devenir, avec ses économies techno-industrielles, une force géologique perturbant les équilibres planétaires. François GIPOULOUX se situe ici en économiste institutionnaliste, intéressé par les éléments d'une société qui construisent l'économie qui s'y inscrit, la stimule ou l'entrave. Il se défie tout autant du courant culturaliste traditionnel, eurocentré, que du courant révisionniste qui pèche par asiecentrisme en réduisant la révolution industrielle à des contingences (le charbon et les colonies si l'on résume la thèse de Kenneth Pomeranz).
Surtout, raison principale de son invitation au CERCRID, François GIPOULOUX s'intéresse au droit. Aux instruments et aux techniques juridiques dont il tente une comparaison entre la Chine et l'Europe à partir de trois figures typiques de l'action économique : le marchand, le courtier, et le bailleur de fonds. Ses sources sont des contrats, des minutes de procès, différents textes et documents qui permettent de donner vie aux activités économiques et commerciales de la Chine impériale tardive. Un contexte où les marchands ont certes connu un regain de considération qui a accompagné un développement économique indéniable, mais sans toutefois donner lieu à des dynamiques réellement comparables à celles de l'Europe. Non pas en raison de "retards" confinant à la fatalité, mais simplement parce que la société chinoise était un terreau moins favorable au perfectionnement de techniques qui sont devenues, en Europe, extrêmement efficaces pour intensifier les pouvoirs économiques : l’assurance, le connaissement, le courtage, le notariat, la comptabilité en partie double. Les interstices dans lesquels le pouvoir économique se développait en Chine étaient plus étroits - enserrés dans les clans ou confinés à la périphérie sinon à la diaspora - que ceux dans lesquels ils ont pu prospérer en Europe - caméralisme, bourgeoisies urbaines etc.
Une contribution qui remet le culturel, le politique et le juridique au cœur de trajectoires qui n'auraient jamais pu se maintenir et connaître le cheminement que l'on sait sans les énergies fossiles (on rejoindra ici Tony Wrigley) mais que l'on ne saurait réduire à ces facteurs limitants et autres contingences.
Pour en discuter, outre son directeur Etienne CORNUT dont les thèmes résonnaient avec ses propres travaux et expériences au Cambodge et en Nouvelle-Calédonie, le CERCRID a eu l'immense plaisir d'accueillir Béatrice JALUZOT, maître de conférences HDR de droit privé à l'IEP de Lyon, et directrice de l'Institut de l'Asie Orientale, laquelle a pu ajouter le regard de la sinologue et de la spécialiste de droit comparé aux deux regards précédents sur la Chine.
Lors du séminaire doctoral de l'après-midi, Fanny JACQUELOT, co-directrice de nouveau Master Droit International Européen et Comparé a rejoint notre panel pour des échanges qui ont été nourris de questions posées par le public.
Droit comparé interne, entre droit public et droit privé (Benoît SCHMALTZ), l'anthropologie juridique en France (Norbert ROULAND), les enjeux du comparatisme en histoire économique (François GIPOULOUX), la théorie du comparatisme (Béatrice JALUZOT), comparatisme vécu comme une discipline et non une simple méthode (Fanny JACQUELOT) sont quelques-uns des thèmes abordés au cours de 2H30 de discussions enrichissantes.
Benoît SCHMALTZ
benoit.schmaltz @ univ-st-etienne.fr